Sylvie SAGNES
Chargée de recherches CNRS de première classe
Héritages - Culture(s), création(s), patrimoine(s)
UMR 9022 (CNRS, CYU, MC)
Ethnologue, Sylvie Sagnes a consacré ses premières investigations à la question de l’autochtonie et montré comment le lien au lieu, loin de se dissoudre dans la globalisation, est actuellement réinventé par chacun. L’exploration de ce qui, dans nos imaginaires, constituent nos « racines », a déterminé plus d’une orientation de sa recherche depuis son recrutement au CNRS en 2001.
Ses travaux se sont par ailleurs pleinement inscrits dans le programme intellectuel de son équipe d’accueil, le LAHIC, fondé sur la problématique de l’institution de la culture. L’ambition de rendre compte de la mutation anthropologique que constitue cette institution ou instauration, aujourd’hui observable aux quatre coins du monde, détermine un vaste champ d’investigation dont les contributions de S. Sagnes reflètent les multiples points d’accroche : les acteurs impliqués (spécialistes et amateurs, historiens, archéologues, muséologues, guides, sauveurs patrimoniaux, etc.), les réceptacles de la valeur culturelle (la science, les traces du passé, la littérature, etc.), les étapes du processus d’institution (notamment la médiation), les enjeux identitaires inhérents à la jouissance des biens distingués.
S’intéressant, dans le cadre de sa thèse, à la passion du passé et au retour du local qui, en s’épousant, marquent si fort de leur empreinte nos sociétés contemporaines, S. Sagnes a accordé une attention particulière aux producteurs des savoirs utiles à la célébration des identités territoriales (généalogistes, historiens locaux). Plongeant dans leurs productions, il lui a été donné de constater toute l’importance qu’individuellement et collectivement ces érudits accordent, à côté de leurs marottes localistes, à l’histoire de leur spécialité, aux figures qui l’incarnent, aux institutions et réseaux qui la structurent, y puisant pour tout dire la ressource d’une identité savante. Ainsi, après une plongée dans les pratiques biographiques et autobiographiques dont la vie académique fournit le cadre, a-t-elle élargi la perspective à d’autres types d’écritures et plus spécialement à la polygraphie. La question des parentés intellectuelles et celle des mémoires disciplinaires complètent cette approche multidirectionnelle des identités savantes, mise à profit dans le cadre du projet ANR VISA (Vies savantes). À la faveur de ce programme démarqué tout autant des analyses qui séparent l’œuvre et la vie que de celles qui les associent de façon univoque (la vie comme déterminant de l’œuvre), S. Sagnes s’est intéressée aux anthropologues mis en scène par le roman, pariant sur la capacité des écrivains (Bourget, Berlinski, Carvalho, King, Claro) à saisir et souligner les particularismes de la vie savante.
Partant du constat que l’anthropologie a participé et participe encore du processus d’institution de la culture, le LAHIC a fait depuis sa création retour sur l’histoire de la discipline, dans un mouvement réflexif dont S. Sagnes a été partie prenante. Sa contribution, à géométrie variable, s’est structurée autour de l’émergence et de la fortune de la notion de « pays » chez différents auteurs (Foncin, Lagarde, Beauquier, van Gennep, Roupnel) avant de se donner pour objet les collections de poupées folkloriques réunies au tournant des XIXe et XXe siècles (notamment celles de Marie Koenig et de Françoise Guelliot), lesquelles lui ont permis de mettre au jour de singulières modalités de constitution et de restitution du savoir ethnographique. S. Sagnes est en outre très impliquée dans le programme de longue haleine abrité par l’Ethnopôle GARAE visant à élucider les affinités qui se font jour entre création littéraire et ethnologie. Après le moment réaliste et la vague régionaliste, les littératures de l’imaginaire, ainsi que la littérature paysanne, figurent à l’agenda de ses recherches.
Cela étant, l’essentiel de sa recherche prend pour cible les passions du passé qui étreignent nos contemporains et qu’elle saisit, depuis deux décennies, sur différents terrains du patrimoine, la conduisant d’abord dans les cénacles de l’archéologie narbonnaise puis aux portes des rêves septimaniens d’un président de Région. Amenée à enquêter à l’entour du Muséon Arlaten, elle s’est également postée sur le front de la guerre des langues opposant les Provençaux aux Occitans. Si une enquête donnée ouvre souvent sur une autre, les programmes initiés par le LAHIC (L’institution archéologique, Émotions patrimoniales) ou le DPRPS (Mémoires de l’immigration), autant que les sollicitations extérieures (notamment du CAS à Toulouse et de ses programmes internationaux sur les usages de l’état-civil, ou sur les maux de mémoire) ont largement déterminé le choix de ses objets, aussi étrangers les uns aux autres que peuvent le sembler a priori la promotion de la patronymie au rang de « patrimoine national », la mémoire à vif de la Retirada, et les prétentions de Paris à s’affirmer petit pays ou même village. S. Sagnes s’est aussi employée à dépayser sa recherche par quelques incursions au Québec : à Montréal, une ville globale qui fait de son « vivre ensemble » un patrimoine ; à Québec dans le sillage de la quête clandestine du tombeau de Champlain ; et du côté du lac Saint-Jean, au fil des réécritures de Maria Chapdelaine. Ses différentes ethnographies mettent en exergue les manières dont le passé, dans ses occurrences matérielles et immatérielles, peut être revendiqué et mobilisé au service d’identités diverses et variées. Mais sa contribution la plus originale en la matière tient sans doute au regard porté sur la dénaturation et l’inflation capitulaires, permettant à toute localité de jouer, à l’appui de son patrimoine, la partition d’une territorialité sans borne et d’une globalité qui, en somme, seraient comme « à soi ».
Chemin faisant, s’est également imposé à son attention un certain nombre d’opérations, à savoir les médiations, jusque là peu distinguées par l’anthropologie du patrimoine, encline à les appréhender seulement comme des observatoires et non comme des objets. Mettant à profit l’étonnement suscité par l’inventivité et la créativité dont les médiateurs font preuve, S. Sagnes place désormais ce moment charnière au cœur de sa réflexion, en tant que laboratoire de patrimonialité. Y ont d’abord concouru ses enquêtes sur le guidage (à Notre-Dame de Paris, au CMN à Carcassonne en réponse à l’AO du DPRPS Métiers du patrimoine), sur les expositions d’archéologie (notamment César, le Rhône pour mémoire et Préhistoire[s]), et sur l’oralisation de la littérature (étudiée à travers le Marathon des mots dans le cadre du labex OBVIL). Cette approche est aujourd’hui prolongée, à Carcassonne et dans le périmètre du Pays cathare, par une observation au long cours des processus de labellisation et d’inscription, notamment unesquiens, qui forment autant de « super-médiations » du patrimoine. Parallèlement, elle renoue avec les guides CASA de Notre-Dame de Paris, obligés de se réinventer après l’incendie de la cathédrale, en même temps qu’elle interroge le rôle assigné aux et endossé par les enfants, dans la réception et la transmission de nos désirs de pérennité.
Aguerrie à la coordination d’ateliers de recherche et à l’organisation de rencontres scientifiques, S. Sagnes anime à sa mesure son équipe de rattachement ainsi que l’Ethnopôle GARAE à Carcassonne, association dédiée à la recherche en ethnologie dont elle est la présidente depuis 2016. Son expertise dans le domaine du patrimoine l’amène aujourd’hui à assumer la codirection de la collection « Ethnologie de la France et des mondes contemporains » (MSH/MC).