Pierre Vergès

Pierre Vergès, ingénieur des Arts et métiers, docteur en économie et certifié en sociologie est entré au CNRS à 29 ans en 1969, comme ingénieur d’études, rattaché au Laboratoire d’économie et de sociologie du travail. Il était chargé de recherches sur les questions thématiques et méthodologiques concernant les « indicateurs sociaux » afin de pallier les insuffisances des indicateurs économiques. Il poursuivait en même temps son engagement auprès du Centre d’études d’Economie et Humanisme à Lyon, pour le traitement des enquêtes sur l’économie de pays en voie de développement. Il participait également avec Alain Degenne à la création d’un groupe de travail informel autour de Claude Flament, professeur de psychologie sociale de l’université de Provence (Aix-Marseille I). L’objectif était la recherche d’une mathématisation non causale du social qui s’ajuste aux objets sociaux caractérisés par des formes de proximité sociale : cela a donné lieu à l’analyse de similitude. On retient de cette période de travaux menés au LEST, que Pierre Vergès a fait partie des chercheurs qui ont promu dans les sciences sociales la recherche et l’usage d’outils mathématiques cernant la notion d’indicateurs sociaux grâce aux progrès de l’informatique qui en rendaient la manipulation plus facile, et des recherches qui ont abouti à la formalisation de l’analyse de similitude sur les objets sociaux. [Un manuel](https://www.scienceshumaines.com/textesInedits/Bouriche.pdf) et [un article](https://www.persee.fr/doc/rfsoc_0035-2969_1973_num_14_4_1060) dans la *Revue française de sociologie* en attestent dès le début des années 1970. A partir de 1974, le lancement du grand programme d’Observation continue du changement social et culturel (OCS), conduit par le CNRS, lui donne l’occasion de s’engager dans des analyses localisées. Le questionnement portait sur les classes sociales : sur les effets à attendre d’une moyennisation de la société française, avec une montée des classes moyennes qui transformait les rapports sociaux notamment à propos du gouvernement de l’espace local. L’équipe marseillaise se structure sous le nom de CACES (Centre d’analyse du changement économique et social) avec Alain Degenne à l’animation de cette antenne du Centre de mathématiques sociales (CMS) dirigé depuis Paris par Marc Barbut. Dans ce cadre, Pierre Vergès a travaillé sur Manosque avec Jean-Claude Garnier, sur Martigues et la zone de Berre avec Arlette Apkarian-Lacout et Pierrette Vergès. Il mène les recherches méthodologiques et apporte le soutien essentiel dans ces études sur une formalisation des rapports sociaux localisés. On en trouve la marque dans *Les Cahiers de l’OCS*, dans l’ouvrage de synthèse de ce programme, L’Esprit des lieux, et dans [un](https://www.persee.fr/doc/sotra_0038-0296_1983_num_25_2_1929) [important article](https://www.persee.fr/doc/sotra_0038-0296_1983_num_25_2_1929) de *Sociologie du travail* sur les classes sociales localisées en 1983. Les travaux qu’il continue de conduire, au sein de l’équipe de recherche Économie et Humanisme sont marqués, eux, par un intérêt précurseur sur la pédagogie de l’économie. Dans ce cadre, se situe sa thèse d’Etat en économie, soutenue en 1976 à Lyon 2. Il y déploie une réflexion et une analyse sur les représentations sociales de l’économie, à partir d’une recherche menée au sein de l’Institut de recherche en pédagogie de l'économie et en audiovisuel pour la communication dans les sciences sociales (IRPEACS), dirigé par Jean-Marie Albertini. Cette orientation thématique de recherche va se développer par une extension de la recherche des représentations sociales à d’autres populations. Nous en évoquons certaines : la réalisation avec l’INSEE d’une recherche sur les journalistes économiques, recherche qui a été présentée aux journées d’Iéna du Conseil économique et social sur les représentations sociales de l’économie en janvier 1993. La participation à une recherche coopérative financée par l’Union européenne dans le cadre du programme Copernicus de coopération entre l’UE et les pays d’Europe centrale et orientale. Cette recherche reposait sur l’acquisition d’une culture économique comme élément décisif du développement économique. Et a porté sur l’évolution des représentations d’une population de jeunes scolaires entre 11 ans et 14 ans par une étude comparative entre la Pologne, la république Tchéque, l’Angleterre et la France. Elle a fait l’objet d’un rapport \[Vergès,P., Albertini, J.M. and Ryba, R., *Mental représentations of the economy : a Key Factor in Economic Progress, Report for the European Union*, LAMES, Aix en Provence, 1995.\]. Il a toujours poursuivi et élargi ces Coopérations internationales (Italie, Portugal, Tunisie) soit pour l’encadrement d’études sur les représentations sociales, soit dans le cadre de directions de thèses. Il a aussi élargi l’analyse des représentations sociales notamment aux salariés face aux mutations technologiques et face à la diffusion de l’informatique, ainsi que sur d’autres populations. Cette recherche l’avait engagé dans une ouverture méthodologique vers les techniques d’analyse logiques et linguistiques. Sa réflexion épistémologique sur des matériaux discursifs ou textuels lui ont permis de créer des logiciels informatiques formalisant d’une part une perspective structurale qui rende compte de la stabilité du « noyau dur » des représentations sociales ([recherches qu’il menait avec le Laboratoire de psychologie sociale de l’Université de Provence](https://www.persee.fr/doc/rfsoc_0035-2969_2001_num_42_3_5373) et son directeur Jean-Claude Abric) et d’autre part une perspective procédurale, dans une analyse des formes d’argumentation (qu’il a mené notamment avec le logicien suisse Jean-Blaise Grize et l’école de sémiologie de Neuchâtel avec Marie- Jeanne Borel et Denis Miéville). On retient de ce mouvement de recherche sa contribution à un ouvrage phare \[Jean-Blaise Grize, Pierre Vergès, Ahmed Silem, *Salariés face aux nouvelles technologies : vers une approche socio-logique des représentations sociales*, Paris, Editions du Centre national de la recherche scientifique, 1987.\], et un nouvel article dans la *Revue européenne des sciences sociales* : P. Vergès, D. Apotheloz, D. Mieville, « Cet obscur objet du discours : opérations discursives et représentations sociales », P*ensée Naturelle, Logique et Langage*, 1987, t. 25 n°77. Pierre Vergès a mené de front, tout au long de son parcours, des recherches épistémologiques et méthodologiques (réflexion et mise en œuvre de logiciels informatiques) au service d’une conception théorique du social qu’il a toujours défendue et qui donne une unité à son œuvre : « écologique » au sens de la localisation des phénomènes sociaux et des proximités sociales et « symbolique » en tant que dimension du social qui s’est traduite notamment dans ses analyses complexes des représentations sociales et des discours. Cette contribution au développement de la sociologie d’enquête en général, et en particulier sur le site d’Aix-Marseille, se double d’un investissement dans l’animation des structures de recherche dans lesquelles il a mené sa carrière : au CACES puis comme directeur du CRES (Centre de recherche en écologie sociale) de 1987 à 1994, période pendant laquelle il devient directeur de recherche au CNRS en 1989. Il prendra la direction du LAMES de 1996 à 2003. Pierre Vergès fait preuve d’un engagement déterminant dans des opérations à fort enjeu institutionnel : en soutien à l’opération d’implantation de l’EHESS à Marseille à partir de 1975 au côté de Marc Barbut puis de Jean-Claude Passeron, et pour la construction de la Maison méditerranéenne des sciences de l’Homme à partir de 1996 au côté de Robert Ilbert. Il a largement contribué aussi à la conception et au lancement du réseau Ramsès, qui a rassemblé, dans l'espace euro-méditerranéen, trente institutions de recherche et laboratoires du CNRS en sciences humaines et sociales, première grande étape dans le programme de coopération scientifique de la MMSH sur la zone euro-méditerranéenne.